India · 25 mai 2021 · 4 min
Sur mon téléphone, l’application météo indiquait 45 degrés Celsius. La chaleur m’a envahie dès que je suis descendue de la voiture, mais j’étais trop nerveuse pour m’en soucier. Ce matin-là, nous venions de prendre l’avion pour Ahmedabad, la capitale du Gujarat, en Inde. Après avoir bu du chai et mangé des ghatiya tout juste frits (un encas à base de farine de pois chiches) pour le petit-déjeuner, nous nous sommes mises en route vers notre destination. Une fois arrivées, ma superviseuse et moi nous sommes séparées, et je suis entrée sans un bruit dans une salle où 200 filles étaient déjà assises et écoutaient attentivement l’intervenante. Falguni Behen (« Behen » signifie « sœur » en gujarati), la responsable locale du programme, leur parlait du cycle menstruel.
La Journée mondiale de l’hygiène menstruelle est célébrée chaque année le 28 mai et est consacrée à la défense des femmes et des filles qui continuent de subir la stigmatisation liée aux menstruations. En Inde, des millions de femmes et de filles font régulièrement face à des difficultés pour gérer leurs cycles menstruels. Confrontées à un phénomène de stigmatisation et des pratiques socio-culturelles délétères découlant de l’association des menstruations avec l’impureté, elles sont nombreuses à ne pas avoir les connaissances adéquates, à adopter de mauvaises pratiques hygiéniques et, surtout, à perdre leur dignité. En 2018, j’ai eu l’occasion de participer aux initiatives mises en place par la Fondation Aga Khan (AKF) et le Programme Aga Khan de soutien rural (AKRSP) dans le cadre de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle.
De nombreuses activités et séances éducatives ont été organisées lors de cette journée, et nous avons eu l’occasion de poser des questions à une gynécologue. Certaines des filles présentes n’ont pas hésité à lever la main, mais beaucoup d’autres ont écrit leurs questions sur des morceaux de papier, une option qui était prévue pour que les plus timides puissent s’exprimer. Falguni Behen m’a ensuite tendu une épaisse pile de papiers, il était évident que les filles avaient beaucoup de questions en tête. L’occasion de parler avec une professionnelle de la santé était rare, et elles en ont profité.
Pendant cette journée, nous avons également joué au jeu de l’échelle. Des filles se sont portées volontaires pour lancer les dés et se déplacer physiquement entre les cases en lisant à haute voix les pratiques d’hygiène menstruelle qui y étaient inscrites. Une discussion de groupe a ensuite été organisée et portait sur les différents types de produits hygiéniques disponibles, leur aspect et la meilleure manière de les utiliser. Une participante a notamment expliqué ne pas savoir comment utiliser les serviettes et où en obtenir et a avoué qu’elle ne savait même pas qu’il y avait plusieurs choix.
Information on adequate hygiene practices during menstruation is conveyed through a life-size Snakes and Ladders game.
AKDN / Mansi Midha
Un jeu de l’échelle à taille humaine aide les jeunes filles à acquérir de nouvelles connaissances sur les bonnes pratiques hygiéniques à adopter durant leurs menstruations.
Beaucoup de ces ressources sont mises à disposition des responsables du programme comme Falguni Behen dans une boîte à outils créée par la Fondation Aga Khan. Dans le cadre de mon stage, j’ai voyagé avec ma superviseuse afin d’apprendre au personnel travaillant en première ligne à utiliser cette boîte à outils pour sensibiliser les femmes et les filles au sujet de la biologie de la reproduction, de la nutrition et de l’hygiène menstruelle.
Bientôt, ce fut à mon tour de parler. Il était important pour nous de déterminer l’impact du programme sur la vie des filles et comment nous pouvions l’améliorer. En seulement un an, depuis le début du programme, plus d’un millier de filles et de femmes avaient été formées à l’hygiène menstruelle, mais il nous restait encore un long chemin à parcourir. Les filles m’ont regardée avec de grands yeux lorsque nous nous sommes assises par terre en cercle. Elles se sont rapprochées lorsque j’ai demandé dans un hindi approximatif :
« Aap yahaa kyo aaiye? (Pourquoi êtes-vous ici aujourd’hui ?) »
L’une des participantes m’a répondu :
« Nous sommes toutes ici pour en apprendre davantage quant aux expériences des autres avec leurs menstruations. Dans ces groupes, nous apprenons ce que sont les menstruations et découvrons les problèmes que rencontrent les autres. Avant, nous ne savions pas quelles questions poser ou ne pas poser et ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Nous étions beaucoup à ne savoir que très peu de choses avant nos premières règles. Nous sommes plusieurs à avoir pleuré et à nous être senties honteuses à de nombreuses reprises. »
Les enquêtes et les entretiens menés par la Fondation Aga Khan ont montré que 63 % des filles vivant dans les zones géographiques de ses programmes (dont l’AKRSP) n’avaient aucune connaissance quant aux menstruations avant qu’elles n’en fassent elles-mêmes l’expérience. En effet, il s’agit d’un sujet encore tabou dans de nombreuses écoles et foyers. Pire encore, lorsque les filles ne savent pas comment gérer leurs menstruations, elles finissent par abandonner l’école. Sans accès à des produits hygiéniques et à un endroit privé pour se changer, elles ont recours à des pratiques qui ne sont pas sans risque pour leur santé. Comme la plupart des filles utilisent des serviettes en tissu, l’absence d’eau courante, de toilettes fonctionnelles ou même d’endroits où jeter les déchets menstruels les conduit souvent à retourner chez elles lorsqu’elles ont leurs règles. Ces problèmes sont d’autant plus difficiles à gérer pour les filles qui n’ont pas les mêmes capacités ou qui vivent dans des contextes d’urgence. En raison de ce défi qui revient chaque mois, de nombreuses filles décident de ne plus retourner à l’école, même si la situation semble commencer à changer.
Il est important de mettre à disposition des filles des toilettes séparées et privées à l’école pour leur permettre d’adopter des pratiques d’hygiène menstruelle sûres et de ne plus avoir à s’absenter au moment de leurs menstruations.
À la fin, une autre participante m’a dit :
« Maintenant, nous avons davantage confiance en nous. Nous savons comment utiliser des serviettes ou comment en fabriquer à partir de tissu. Nous savons également comment gérer les crampes. Nous mangeons mieux, notamment des fruits et des légumes, et sommes plus actives. Nous nous sentons en bonne santé et n’avons plus peur d’aborder le sujet. »
À ce jour, 25 000 femmes et jeunes filles ont bénéficié du Programme de gestion de l’hygiène menstruelle en Inde.
Ce texte est une adaptation d’un article écrit par Nadia Mithani et publié sur le site internet de la Fondation Aga Khan Canada. Nadia Mithani est titulaire d’un master en santé publique. Elle est coordinatrice du programme de recherche au sein du groupe Global Control of HPC and Related Diseases. Elle a obtenu son master en santé publique avec spécialisation en santé mondiale à l’Université Simon Fraser après avoir obtenu une licence en alimentation, nutrition et santé à l’Université de la Colombie-Britannique. Son stage à la Fondation Aga Khan (Inde) s’est déroulé de 2017 à 2018 dans le cadre du Programme de stages pour jeunes en développement international soutenu par le gouvernement canadien et la Fondation Aga Khan.